dimanche 22 février 2015

"HALBSTARKEN" LES BLOUSONS NOIRS HELVETES


Au tout début des années soixante, en Suisse alémanique, une vingtaine de bandes  de halbstarken, défraient la chronique par leurs frasques. Immortalisés par le photographe Karlheinz Weinberger, ces jeunes apprentis issus de la classe ouvrière refusent toute autorité, ils  provoquent les adultes et la société bourgeoise bien pensante  par leur tenue exubérante, jeans serrés au maximum, veste en jeans avec franges  rivetées avec dans le dos le nom et le symbole de leur gang. Le tout, agrémenté de toute une quincaillerie, grosses chaînes avec de gros médaillons sur lesquels figuraient les effigies d'Elvis ou James Dean.

Par-dessus leurs ceintures, ils portent des grosses boucles  en tôle qu'ils fabriquent eux-mêmes, avec le nom du gang ou  l'effigie du roi du rock and roll, on trouve même des boucles avec des fers à cheval, ou des balles de munitions.


Un uniforme souvent revêtu en cachette des parents, l'été 1963 lorsque la police zurichoise effectue une opération anti blousons noirs, de nombreux jeunes furent remis à leurs parents. Plusieurs d'entre eux furent stupéfaits de constater que leur fils et filles qui portaient des vêtements normaux en partant de la maison avaient entre-temps revêtu l'uniforme de blousons noirs (1). Les blousons noirs suisses circulent en Florett un cyclomoteur allemand, ils aiment boire de la bière, se bagarrer et écouter du vrai rock and roll. Lorsque l'idole allemande Peter Kraus se produit au palais des Congrès à Zurich en 1960, des jeunes le jugeant trop mou organise  une violente manifestation devant l'entrée. Ils brandissent des banderoles sur lesquelles  on pouvait lire : "Kraus dehors", "Go home Kraus", "A mort Kraus ".

Un de leurs jeux favori est de couper les cravates de ceux qui en portaient lorsqu'ils les croisaient dans la rue. À Zurich, ils étaient environ 500 halbsarken au début des années soixante, parmi  les bandes  les plus importantes  il y avait,  les Tigers, les Lone Stars et le gang Al Capone. Entre deux séances de cinéma, ils se retrouvent le plus souvent  au café Scharwzen Ring situé dans la Krüggasse, une petite ruelle qu'ils occupent en groupe. Le 15 juin 1960, suite à une plainte des habitants du quartier,  le journal populaire Blick titre en couverture que la Krüggasse est le nid des halbstarken de la ville avec une photo représentant des jeunes qui dansent dans la rue. Deux jours après cet article, la police boucle la rue et une centaine de jeunes sont arrêtés et fichés. Suite à cette descente de police, Blick titre  "Coup contre les criminels en blue-jeans".

Mais le journal doit faire amende honorable le lendemain, puisque le rapport de la police précise que, mis à part quelques mineurs de moins de 16 ans qui traînaient dans le café  aucune infraction n'a été constatée et le journal de préciser que d'après la police, les jeunes zurichois ne sont pas des "halbstarke".

Le week-end de la Pentecôte de l'année 1963, toutes les bandes de Zurich, Bâle, Aarau, mais aussi de Lausanne se retrouvent entre elles sur l'île Saint-Pierre sur le lac de Bienne. Les gangs y  ont installé leurs tentes. Filles et garçons font la fête, flirtent, dansent, se saoulent à la bière autour de feux de camp. En 1962, un nouveau Gang voit le jour à Zurich, nommé Al Capone  fondé par un jeune de 19  ans  d'Oerlikon qui avait pris modèle sur le célèbre gangster de Chicago et qui aurait déclaré."j'ai la posture appropriée, jovial et une cicatrice sur la joue".
 À la différence d'autres bandes, le gang d'Al Capone  aimait bien les armes et il s'amusait à tirer dans des gravières, des caves et dans des maisons privées. La police cantonale eut vent que des membres de la bande possédaient des armes. Après une série d'agressions à main armée dans la région, la gendarmerie est passée à l'action et a arrêté  les trois chefs de la bande Al Capone, le samedi 22 juin 1963. Lors de la fouille de leurs appartements, on a découvert de nombreuses armes, 19 armes à feu, quatre carabines à canons sciés, des pistolets, des revolvers et des munitions, 22  couteaux ou poignards et trois matraques Mais la plupart des armes étaient des pièces de musée et tout avait été acheté légalement et comme aucune preuve n'a été prouvé dans les agressions les trois leaders du gang ont été remis en liberté le soir même. Après ce cours séjour en garde à vue,  le chef du gang Al Capone fort de sa nouvelle notoriété à l'idée  de créer un syndicat  avec notamment comme but de réunir les petites bandes de Zurich qui le souhaitaient. Tom des Four Star Gang qui s'était rallié raconte : "on s'est réuni dans une  salle  pour rédiger un code d'honneur dont les principaux points, concernait la camaraderie, l'aide mutuelle, les mesures contre la trahison.
 L'organisation du syndicat se compose d'un conseil d'administration constitué des quatre fondateurs du syndicat. Le secrétaire du syndicat  est élu par le conseil, l'adjoint ne peut ne pas être du même gang. Les membres  d'un gang (minimum trois personnes) qui souhaitent intégrer le syndicat doivent être acceptés par le conseil d'administration. La période d'essai  est décidée par le conseil d'administration, elle peut aller  de 3 mois à un an. 


 Le syndicat Al Capone avait décidé de perturber  la fête fédérale de tir qui a lieu fin juillet à Zurich,  mais la police fut informée de ce projet. Devant la demande d'ordre et pour éviter les troubles,  un sergent de la police eut l'idée de passer un deal avec le syndicat des blousons noirs de la ville. C'est ainsi que des négociations entre la direction de la police et le chef de gang ont lieu ! Le responsable des enquêtes criminelles  propose un marché aux jeunes concernant leurs tenues  vestimentaires, seront admis dans la zone de la fête, que les jeunes habillés décemment, ceux qui viendront en tenue de blousons noirs  seront appréhendés. Un large débat sur le code vestimentaire à alors éclaté, qu'est-ce que des vêtements décents ?, se demandait éducateurs et  jeunes. Al Capone qui a accepté l'offre de la police  portait un chapeau à larges bords et des mocassins italiens pointus, un cigare au bec, ses hommes portaient  leur costume de confirmation avec un gilet et en guise de cravate un nœud papillon en velours ! Mais son attitude  ne fit pas l'unanimité dans le syndicat et plusieurs  membres sont venus  avec leur tenue de voyou, ils furent cueillis dès leur entrée sur la place des fêtes par la police qui les conduisait au commissariat. Ils furent soumis à un contrôle d'identité, puis relâchés pour la plupart. D'autres essayèrent de se faufiler à travers les bois, sans succès, certains s'étaient mis à plat ventre dans le tramway en espérant échapper à la vigilance de la police. Une soixantaine de jeunes dont cinq jeunes filles seront aussi arrêtées a la station terminale du tramway sous les applaudissements des passants, une quarantaine étaient originaires de Zurich et de ses environs dont le gang des Revengers et leur boss  Romeo,  une dizaine venait de Zoug et de Bâle s'étaient déplacés des membres du gang des vampires. Ceux qui n'habitaient pas la ville, furent renvoyer chez eux par le train après interrogatoire. Cette affaire marquera le point culminant du mouvement Halbstark,  mais aussi son déclin. Ils se retrouveront une dernière fois dans un camp sur l'île Saint- Pierre lors de la Pentecôte 1964 où la bière coulait à flots. Mais les héros étaient fatigués et quelques chefs  comme le leader des Lions, brûleront leurs vestes bariolées. Al Capone qui eut ses 20 ans en 1964 déclara qu'il mettait fin à sa carrière de chef de Gang, il voulait désormais  juste être un simple employé de commerce.



 À Bâle, comme à Zurich, la plupart des bandes ont vue le jour au tout début des années soixante.  Comme chaque gang voulait être le meilleur, le plus fort et le plus original, les bagarres étaient nombreuses, bien que les filles pouvaient aussi être à l'origine d'affrontement Les Black Stars étaient une bande particulièrement violente,  ils s'affrontèrent même à des bandes allemandes ou françaises. Leurs emblèmes étaient une étoile noire à six branches avec le dessin d'une botte à l'intérieur symbolisant le cow-boy cousu sur leur veste en jeans  et les membres portaient autour du cou une chaîne avec un médaillon d'Elvis. Les Vampires  étaient l'une des bandes bâloises les plus mythiques, à l'origine il avait sur le dos de leur veste en jeans un écusson avec une araignée et le nom  vampires, cet emblème sera  remplacé par la suite par une chauve-souris avec l'inscription "Stranger Gang Basel" cousu sur le dos par le chef de la bande surnommé Killer. Plus tard,  il taillera des vestes imitations léopards aux membres de son gang qui se teignaient aussi les cheveux en bleu noir.  Tous les membres avaient un V  suivi d'un chiffre tatoué sur la main droite plus une ancre pour certains. Les Venom fondés en 1961 avaient comme logo une tête de mort jaune sur fond noir et des grosses chaînes autour du cou. Jacky l'un des leaders des Venom formera ensuite le club des Blizzard. Chaque membre se tatouait le nom du gang sur le bras ainsi que trois points sur la main. Ils portaient des vestes à franges avec sur le dos leur nom "the blizzard  club Basel" avec leur nouveau symbole un éclair. 




Cette bande très dur était très structurée et avait des règles très contraignantes. Les ordres du chef devaient être exécutés sans contestation, trahir les secrets de la bande valait l'exclusion. Chaque membre devait payer une cotisation de  2 francs par semaine et les nouveaux entrants  15 francs de droits d'entrée et ils devaient  subir une période d'essai avant d'être accepté dans la bande.  Pour quitter la bande il fallait une raison valable et déposer un préavis de deux mois.  Les filles étaient interdites  lors des réunions privées. En cas de confrontation avec une autre bande, le chef avait le droit de négocier, si la négociation n'était pas possible chaque membre avait le devoir de participer à l'affrontement. L'absence non justifié lors d'une confrontation était punie d'une amende. La dissolution de la bande n'était  possible que sous la pression de la justice ou par  faute de membre. Parmi les nombreuses bandes bâloises, on trouvait, les Red Devil  fort d'une soixantaine de membres, tous âgés de  15  à 18  ans, chevauchant des mobylettes 50 cm3. Ils  se rencontraient tous les soirs pour écouter du rock and roll. Bien qu'ils se considéraient comme l'une des bandes les moins sauvages, il y eut des affrontements à coup de chaînes, de ceintures cloutées avec d'autres gangs, ils disparaissent  en 1963.  Les Jets avaient comme emblème, une main tenant un éclair  et étaient titulaires d'une carte de membres signés par leur boss. les Lions à l'allure martiale  avaient comme mascotte un chien, les Pumas paradaient dans des grosses américaines  



Photos : Karlheinz Weinberger

Sources:

*1- Nouvelliste du Rhône  29/07/1963

*Die Sixties in Basel Christoph Merian Verlag 2000

*Documentaire:

Halbstark - Die Geschichte der ersten Rocker der
Schweiz, welche in den biederen fünfziger
Jahren abschätzig als Halbstarke
   Adrian Winkler Schweiz 2004.

*Totenkopf-Gang auf der Chilbi - Neue Zürcher Zeitung 07/05/2006


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