Au
tout début des années soixante, en Suisse alémanique, une vingtaine de
bandes de halbstarken, défraient la
chronique par leurs frasques. Immortalisés par le photographe Karlheinz
Weinberger, ces jeunes apprentis issus de la classe ouvrière refusent toute
autorité, ils provoquent les adultes et
la société bourgeoise bien pensante par
leur tenue exubérante, jeans serrés au maximum, veste en jeans avec
franges rivetées avec dans le dos le nom
et le symbole de leur gang. Le tout, agrémenté de toute une quincaillerie,
grosses chaînes avec de gros médaillons sur lesquels figuraient les effigies
d'Elvis ou James Dean.
Par-dessus
leurs ceintures, ils portent des grosses boucles en tôle qu'ils fabriquent eux-mêmes, avec le
nom du gang ou l'effigie du roi du rock
and roll, on trouve même des boucles avec des fers à cheval, ou des balles de
munitions.
Un
uniforme souvent revêtu en cachette des parents, l'été 1963 lorsque la police
zurichoise effectue une opération anti blousons noirs, de nombreux jeunes
furent remis à leurs parents. Plusieurs d'entre eux furent stupéfaits de
constater que leur fils et filles qui portaient des vêtements normaux en
partant de la maison avaient entre-temps revêtu l'uniforme de blousons noirs
(1). Les blousons noirs suisses circulent en Florett un cyclomoteur allemand,
ils aiment boire de la bière, se bagarrer et écouter du vrai rock and roll.
Lorsque l'idole allemande Peter Kraus se produit au palais des Congrès à Zurich
en 1960, des jeunes le jugeant trop mou organise une violente manifestation devant l'entrée.
Ils brandissent des banderoles sur lesquelles
on pouvait lire : "Kraus dehors", "Go home Kraus",
"A mort Kraus ".
Un
de leurs jeux favori est de couper les cravates de ceux qui en portaient
lorsqu'ils les croisaient dans la rue. À Zurich, ils étaient environ 500
halbsarken au début des années soixante, parmi
les bandes les plus importantes il y avait,
les Tigers, les Lone Stars et le gang Al Capone. Entre deux séances de
cinéma, ils se retrouvent le plus souvent
au café Scharwzen Ring situé dans la Krüggasse, une petite ruelle qu'ils
occupent en groupe. Le 15 juin 1960, suite à une plainte des habitants du
quartier, le journal populaire Blick
titre en couverture que la Krüggasse est le nid des halbstarken de la ville
avec une photo représentant des jeunes qui dansent dans la rue. Deux jours
après cet article, la police boucle la rue et une centaine de jeunes sont
arrêtés et fichés. Suite à cette descente de police, Blick titre "Coup contre les criminels en
blue-jeans".
Mais
le journal doit faire amende honorable le lendemain, puisque le rapport de la
police précise que, mis à part quelques mineurs de moins de 16 ans qui
traînaient dans le café aucune
infraction n'a été constatée et le journal de préciser que d'après la police,
les jeunes zurichois ne sont pas des "halbstarke".
Le
week-end de la Pentecôte de l'année 1963, toutes les bandes de Zurich, Bâle,
Aarau, mais aussi de Lausanne se retrouvent entre elles sur l'île Saint-Pierre
sur le lac de Bienne. Les gangs y ont
installé leurs tentes. Filles et garçons font la fête, flirtent, dansent, se
saoulent à la bière autour de feux de camp. En 1962, un nouveau Gang voit le
jour à Zurich, nommé Al Capone fondé par
un jeune de 19 ans d'Oerlikon qui avait
pris modèle sur le célèbre gangster de Chicago et qui aurait déclaré."j'ai
la posture appropriée, jovial et une cicatrice sur la joue".
À la différence d'autres bandes,
le gang d'Al Capone aimait bien les
armes et il s'amusait à tirer dans des gravières, des caves et dans des maisons
privées. La police cantonale eut vent que des membres de la bande possédaient
des armes. Après une série d'agressions à main armée dans la région, la
gendarmerie est passée à l'action et a arrêté
les trois chefs de la bande Al Capone, le samedi 22 juin 1963. Lors de
la fouille de leurs appartements, on a découvert de nombreuses armes, 19 armes
à feu, quatre carabines à canons sciés, des pistolets, des revolvers et des
munitions, 22 couteaux ou poignards et
trois matraques Mais la plupart des armes étaient des pièces de musée et tout
avait été acheté légalement et comme aucune preuve n'a été prouvé dans les
agressions les trois leaders du gang ont été remis en liberté le soir même.
Après ce cours séjour en garde à vue, le
chef du gang Al Capone fort de sa nouvelle notoriété à l'idée de créer un syndicat avec notamment comme but de réunir les
petites bandes de Zurich qui le souhaitaient. Tom des Four Star Gang qui
s'était rallié raconte : "on s'est réuni dans une salle
pour rédiger un code d'honneur dont les principaux points, concernait la
camaraderie, l'aide mutuelle, les mesures contre la trahison.
L'organisation du syndicat se compose d'un
conseil d'administration constitué des quatre fondateurs du syndicat. Le
secrétaire du syndicat est élu par le
conseil, l'adjoint ne peut ne pas être du même gang. Les membres d'un gang (minimum trois personnes) qui
souhaitent intégrer le syndicat doivent être acceptés par le conseil
d'administration. La période d'essai est
décidée par le conseil d'administration, elle peut aller de 3 mois à un an.
Le syndicat Al Capone avait décidé de
perturber la fête fédérale de tir qui a
lieu fin juillet à Zurich, mais la
police fut informée de ce projet. Devant la demande d'ordre et pour éviter les
troubles, un sergent de la police eut
l'idée de passer un deal avec le syndicat des blousons noirs de la ville. C'est
ainsi que des négociations entre la direction de la police et le chef de gang
ont lieu ! Le responsable des enquêtes criminelles propose un marché aux jeunes concernant leurs
tenues vestimentaires, seront admis dans
la zone de la fête, que les jeunes habillés décemment, ceux qui viendront en
tenue de blousons noirs seront
appréhendés. Un large débat sur le code vestimentaire à alors éclaté, qu'est-ce
que des vêtements décents ?, se demandait éducateurs et jeunes. Al Capone qui a accepté l'offre de la
police portait un chapeau à larges bords
et des mocassins italiens pointus, un cigare au bec, ses hommes portaient leur costume de confirmation avec un gilet et
en guise de cravate un nœud papillon en velours ! Mais son attitude ne fit pas l'unanimité dans le syndicat et plusieurs membres sont venus avec leur tenue de voyou, ils furent cueillis
dès leur entrée sur la place des fêtes par la police qui les conduisait au
commissariat. Ils furent soumis à un contrôle d'identité, puis relâchés pour la
plupart. D'autres essayèrent de se faufiler à travers les bois, sans succès,
certains s'étaient mis à plat ventre dans le tramway en espérant échapper à la
vigilance de la police. Une soixantaine de jeunes dont cinq jeunes filles
seront aussi arrêtées a la station terminale du tramway sous les
applaudissements des passants, une quarantaine étaient originaires de Zurich et
de ses environs dont le gang des Revengers et leur boss Romeo,
une dizaine venait de Zoug et de Bâle s'étaient déplacés des membres du
gang des vampires. Ceux qui n'habitaient pas la ville, furent renvoyer chez eux
par le train après interrogatoire. Cette affaire marquera le point culminant du
mouvement Halbstark, mais aussi son
déclin. Ils se retrouveront une dernière fois dans un camp sur l'île Saint-
Pierre lors de la Pentecôte 1964 où la bière coulait à flots. Mais les héros
étaient fatigués et quelques chefs comme
le leader des Lions, brûleront leurs vestes bariolées. Al Capone qui eut ses 20
ans en 1964 déclara qu'il mettait fin à sa carrière de chef de Gang, il voulait
désormais juste être un simple employé
de commerce.
À Bâle, comme à Zurich, la plupart des bandes
ont vue le jour au tout début des années soixante. Comme chaque gang voulait être le meilleur,
le plus fort et le plus original, les bagarres étaient nombreuses, bien que les
filles pouvaient aussi être à l'origine d'affrontement Les Black Stars étaient
une bande particulièrement violente, ils
s'affrontèrent même à des bandes allemandes ou françaises. Leurs emblèmes
étaient une étoile noire à six branches avec le dessin d'une botte à
l'intérieur symbolisant le cow-boy cousu sur leur veste en jeans et les membres portaient autour du cou une
chaîne avec un médaillon d'Elvis. Les
Vampires étaient l'une des bandes
bâloises les plus mythiques, à l'origine il avait sur le dos de leur veste en
jeans un écusson avec une araignée et le nom
vampires, cet emblème sera
remplacé par la suite par une chauve-souris avec l'inscription
"Stranger Gang Basel" cousu sur le dos par le chef de la bande
surnommé Killer. Plus tard, il taillera
des vestes imitations léopards aux membres de son gang qui se teignaient aussi
les cheveux en bleu noir. Tous les
membres avaient un V suivi d'un chiffre
tatoué sur la main droite plus une ancre pour certains. Les Venom fondés en
1961 avaient comme logo une tête de mort jaune sur fond noir et des grosses
chaînes autour du cou. Jacky l'un des leaders des Venom formera ensuite le club
des Blizzard. Chaque membre se tatouait le nom du gang sur le bras ainsi que
trois points sur la main. Ils portaient des vestes à franges avec sur le dos
leur nom "the blizzard club
Basel" avec leur nouveau symbole un éclair.
Cette bande très dur était
très structurée et avait des règles très contraignantes. Les ordres du chef
devaient être exécutés sans contestation, trahir les secrets de la bande valait
l'exclusion. Chaque membre devait payer une cotisation de 2 francs par semaine et les nouveaux
entrants 15 francs de droits d'entrée et
ils devaient subir une période d'essai
avant d'être accepté dans la bande. Pour
quitter la bande il fallait une raison valable et déposer un préavis de deux
mois. Les filles étaient interdites lors des réunions privées. En cas de
confrontation avec une autre bande, le chef avait le droit de négocier, si la négociation
n'était pas possible chaque membre avait le devoir de participer à
l'affrontement. L'absence non justifié lors d'une confrontation était punie
d'une amende. La dissolution de la bande n'était possible que sous la pression de la justice
ou par faute de membre. Parmi les
nombreuses bandes bâloises, on trouvait, les Red Devil fort d'une soixantaine de membres, tous âgés
de 15
à 18 ans, chevauchant des
mobylettes 50 cm3. Ils se rencontraient
tous les soirs pour écouter du rock and roll. Bien qu'ils se considéraient
comme l'une des bandes les moins sauvages, il y eut des affrontements à coup de
chaînes, de ceintures cloutées avec d'autres gangs, ils disparaissent en 1963.
Les Jets avaient comme emblème, une main tenant un éclair et étaient titulaires d'une carte de membres
signés par leur boss. les Lions à l'allure martiale avaient comme mascotte un chien, les Pumas
paradaient dans des grosses américaines
Photos : Karlheinz
Weinberger
Sources:
*1-
Nouvelliste du Rhône 29/07/1963
*Die
Sixties in Basel Christoph Merian Verlag 2000
*Documentaire:
Halbstark - Die Geschichte der ersten Rocker der
Schweiz, welche in den biederen fünfziger
Jahren abschätzig als Halbstarke Adrian Winkler
Schweiz 2004.
*Totenkopf-Gang auf der Chilbi
- Neue Zürcher Zeitung 07/05/2006
© Tous droits réservés pour le texte - Reproduction interdite sans autorisation