lundi 14 mars 2011

LES ANGES AUX FIGURES SALES DU ROCK (MOUSTIQUE)



Document :
Article assez lucide et prémonitoire concernant le rocker de la Bastille Moustique, paru dans Ciné Revue N°32 daté du 8 août 1963
signé J.M.



LES ANGES AUX FIGURES SALES DU ROCK

C'est terriblement simple
On vous dit :
- Vous qui êtes les "jeunes" donc vous êtes les plus grands, les plus forts et tout vous êtes pratiquement permis puisque vous êtes les "jeunes" ...
Si vous avez l'innocence, vous qui êtes justement un jeune, de demander pourquoi, il vous sera répondu :
- Mais regarde les copains, Johnny, Richard, Eddy, Claude, Lucky, Françoise, Sheila, Sylvie ...
et puis lis Tes journaux, écoute Tes émissions, va à Tes concerts
Et tant pis si le pantin craque...
A toute occasion il vous sera donné d'apprendre que vos "Idoles" qui sont des JEUNES comme vous, roulent dans des "bolides" coûtant plusieurs millions et que, d'ailleurs les millions, ils les gagnent à la pelle et sans avoir le moins du monde à se casser la tête. Vous aurez également toute les facilité d'apprendre qu'à moins de vingt ans, vos champions de la guitare sont des "rois" de l'instrument alors que des "croûlants" de trente ans, musiciens professionnels, possèdent tout juste une certaine personnalité sur leur instrument. Cela, évidemment , peut a priori, vous paraître curieux, mais , n'est-ce pas PUISQU'ON VOUS LE DIT ...
Et alors inévitablement un beau jour vous vous posez la question :
-POURQUOI PAS MOI ?
Et oui, au fait pourquoi pas vous ? puisqu'on peut faire fortune sans savoir chanter, sans savoir jouer d'un instrument, à la seule condition d'être UN JEUNE.
IL EST QUAND MEME GRAND TEMPS QUE L'ON VOUS DISE QUE CEUX QUI GAGNENT LES MILLIONS NE SONT PAS OBLIGATOIREMENT VOS IDOLES.
IL FAUDRAIT AUSSI QUE VOUS VOUS RENDIEZ COMPTE QU'EN GENERAL CEUX QUI LES FABRIQUENT SONT DES SUPER-CROULANTS, REGNANT EN GRANDS MANITOUTS DANS TOUTES LES COULISSES (DISQUES-EDITIONS- RADIOS-TV), ET QUI SE CONTENTENT DE TIRER LES FICELLES... TANT PIS SI LE PANTIN QU'ILS ONT INVENTE "CRAQUE".
Ce qu'il voulait, Johnny ? Sortir de son appartement triste et pauvre
Seulement, ici, à "Ciné Revue" nous ne voudrions pas que ce soit vous qui, demain soyez le "pantin" car les pantins cassés ne se raccommodent jam ais dans la vie et, la vie pour qui l'aborde avant vingt ans est alors terriblement longue et dure à vivre...
Savez-vous qu'il y a actuellement en FRANCE, 50.000 formations ou jeunes chanteurs de ROCK ?
Si vous ne le savez pas, vous avez par contre assez des dix doigts de vos deux mains pour compter ceux d'entre eux qui risquent de faire un tout petit peu parler d'eux...
Faites maintenant la soustraction et vous aurez une idée du nombre de déceptions...
Il y a plus de trois ans nous vous parlions de JOHNNY HALLYDAY. A l'époque, on nous prenait volontiers pour des fous. Je vous raconte cela parce qu'à l'époque c'est moi qui suis allé dans l'appartement pauvre, très pauvre, qu'il habitait rue de la Tour des Dames à la Trinité.
Nous avons sympathisé immédiatement parce que nous nous sommes très bien compris.
Il aimait tout ce qui venait des USA : les "jeans", les ceinturons, les guitares électriques,.
Naturellement , il s'était acheté un "jean" un large ceinturon de cuir noir, des bottes de cow-boy et aussi une guitare d'occasion. Le tout en faisant des tours de force ...si l'on peut appeler cela comme ça.
Pourquoi ,
Parce qu'il voulait en sortir de son appartement triste et pauvre. Parce que, dehors, il y avait du soleil sur des voitures rutilantes, sur des immeubles fascinants.
Parce que, dans les romans qu'il lisait, le héros était toujours drôlement "sapé" et qu'il "éclusait" un scotch toutes les deux pages.
Lui, avec sa guitare, il a été le premier à tenter l'aventure. C'était sa "Rué vers l'Or", super western signé Hallyday.
Comme il était le premier, qu'il savait ce qu'il faisait et savait bien le faire, ça a marché.
L'Eldorado des anges aux figures sales
Comme nous étions les premiers et que nous savions ce que nous voulions faire, ça a marché en même temps. Tout ça pour vous dire que nous nous comprenions bien et qu'aujourd'hui, je vous comprends de la même façon.
Je sais d'où ils viennent, les garçons et les filles pour qui le "rock" semble une vocation obligatoire : ils viennent de logis où le soleil n'ente pas souvent et où ils vivent trop nombreux sans que leurs parents, toute la journée au travail, aient suffisamment le temps de s'occuper d'eux.
Alors ils veulent tenter la grande aventure vers une vie plus facile. Cette grande aventure, qui est encore plus une évasion qu'une aventure, le rock semble seul pouvoir leur en assurer les subsides merveilleux.
LE ROCK, C'EST L'ELDORADO DE TOUS LES ANGES AUX FIGURES SALES DE 1963
Certains, les plus malveillants, ont voulu en faire l'empire "des blousons noirs" . C'EST FAUX. Les "blousons noirs" n'ont rien a voir avec le "rock". D'accord, "ils" sont là quand il y a des concerts, des manifestations, mais qu'y faire ? Si vous croyez qu'il n'y a que des fidèles sincères dans les églises !
Les pauvres cloches qui se paient des disques
Non! le rock c'est vous qui l'avez fait, vous, les moins de vingt ans, et c'est votre royaume. Soit. Un royaume qui a lui aussi ses "voyous" mais cela est inévitable. Seulement, c'est à vous d'élire vos "Princes". Or maintenant, vos "élections" sont de plus en plus "truqués" et vous n'êtes plus dans la plupart des cas considérés que comme "le pauvre cloche se payant des microsillons". Car vous ne vous en doutez peut-être pas mais actuellement c'est VOUS LES JEUNES QUI ETES LA PRINCIPALE SOURCE DE REVENU DU DISQUE.
On considère qu'à travers Johnny Hallyday, Richard Anthony, les Chaussettes Noires, Françoise Hardy, Sheila, Claude François, Lucky Blond, Sylvie Vartan, les Chats Sauvages, etc... vous avez acheté 15 MILLIONS DE MICROSILLONS SUPER 45 TOURS EN DEUX ANS. CE QUI, EN LES COMPTANT A 10 francs pièces pour simplifier nos calculs, DEMONTRE CLAIREMEMENT QUE VOUS AVEZ DEPENSE EN DEUX ANS RIEN QUE POUR LA FRANCE 150 MILLIONS DE FRANCS SOIT 15 MILLIARDS D'ANCIENS F. Vous êtes donc, VOUS LES JEUNES, UNE AFFAIRE FORMIDABLE pour ceux qui savent vous exploiter. Et je ne parle pas encore d'autres millions de droits d'auteurs, d'éditeurs, etc...
Ce qu'il y de navrant, c'est que de plus en plus souvent, pour mieux vous exploiter, ILS se servent des VOTRES. Pas de semaine sans QUE L'ON VOUS INVENTE UNE IDOLE, QUE L'ON VOUS FABRIQUE UN PANTIN. De toute façon, ON SAIT QUE VOUS ALLEZ EXPERIMENTER LE "PRODUIT" AUTREMENT DIT QUE VOUS ALLEZ ACHETER AU MOINS LE PREMIER DISQUE. Et, cela suffit pour que l'opération soit rentable. Vous, vous en serez pour vos 10 F. Et ce n'est bien sûr pas très grave. Mais, et le "pantin" ?
C'est là qu'est le but de cet article.
Hier, le pantin brisé était le boxeur ; aujourd'hui, c'est l'idole
Oui ! le "pantin", celui que l'on a bâti à coups de photos, de galas "spontanés", de passages radio "payants", celui qui, un instant s'est vu "TOUT EN HAUT DE L'AFFICHE", celui qui a cru enfin être sorti de cette ombre angoissante qu'il y a encore hélas dans certains quartiers, dans certaines banlieues, même le joue, car c'est une ombre que l'on porte au cœur.
Oui ! celui-là, que devient-il ?
Je n'aurai pas la cruauté de rappeler, en une longue, très longue liste les noms de tous ceux qui ne durèrent que le temps d'un été. D'ailleurs pourquoi les rappeler puisque vous mêmes les avez oubliés depuis belle lurette, dans la mesure où je veux bien croire que vous les avez connus, ce qui s'appelle vraiment "connus". En fait, on ne sait pas ce qu'il sont devenus, tous ceux qui ont eu le temps de faire un commencement de rêve doré, mais une chose est certaine, c'est qu'ils doivent être plongés dans l'atroce cauchemar de ceux qui ayant connu, ne serait-ce que quelques mois , une autre vie, retombé dans une réalité quotidienne devenue alors insupportable. Ils ont eu leur visage sur les pochettes de LEURS disques, sur les écrans de TV, dans les magazines et maintenant, sans que personne ne s'en soucie, ils sont rendus à un anonymat cruel pour eux.
Cela me fait penser à ces gamins d'il y quarante ans que l'on sortait (plus qu'ils n'en sortaient) des pays miniers, des régions sous-développés, des taudis suburbains, et dont on faisait des boxeurs, car le boxeur à l'époque était la grande idole des foules. Pour un "champion" victime des organisateurs, des managers, des entraineurs, et qui généralement finissait très mal, que de déchets humains à brève échéance, sans avoir connu d'autre gloire que d'être cueilli à son entrée sur le ring par le pinceau d'un projecteur avant de l'être par le poing de son adversaire.
Il se trouve que l'actualité en ce qui concerne le rock, me donne aujourd'hui un exemple précis en la personne de celui que l'on nomme "Moustique"
Moustique, c'est la possibilité de la bonne affaire à réaliser
Au moment où j'écris ces lignes, une centaine de journaux en Europe ont déjà parlé de "Moustique" et lui ont consacré des articles importants.
Or, à ce jour, EN QUOI MERITER-T-IL PAREILLE NOTORIETE ?
Il n'a pas encore jamais enregistré. Aucun disque de lui n'est publié. On ne peut pas dire que ce soit un "play-boy" ... Alors que s'est-il passé ?
Je vais vous le dire.
MOUSTIQUE est un "titi" de Paris, qui taquine légèrement la guitare. De son vrai nom, il s'appelle Michel Grégoire. Il dit avoir vingt ans et un ans et c'est probablement vrai. Il a été réformé temporairement, mais il est probable que ce sera définitif ; il n'est que de le considérer pour voir que la sous- alimentation a fait des ravages sur sa frêle constitution. Chez lui, on vivait à six dans la même pièce. Maintenant, il habite seul dans une "pièce" (si l'on peut dire) à la Bastille... On a parlé de lui parce que sa "bande" a un tant soit peu malmené JOHNNY HALLYDAY qui, à leur avis, "n'est plus le même qu'avant".
Voilà c'est peu n'est-ce pas !
Et bien, cela a été suffisant pour qu'en ce gosse privé de tout et de tous, CERTAINS VOIENT QUAND MEME LA BONNE AFFAIRE POSSIBLE. Moustique a déjà fait un gala en "vedette" salle Wagram devant un public assez déconcerté, il faut bien le dire.
S'il n'a pas sa maison au soleil, qui paiera la casse ?
Comme il ne connait pas l'anglais, il a délayé dans ses chansons (?) un nombre fantastique de "baby baby baby" ; à la troisième chanson (?) il était à bout de souffle au sens propre (hélas !) , comme au sens figuré.
Naturellement, maintenant il va enregistrer. Des publicistes s'occupent de son cas. "On" va vous parler de lui. Et lui, que va-t-il faire ? Personnellement, je lui souhaite que tout aille pour le mieux, en me demandant ce qui pourrait être le "mieux" dans son cas...
Mais j'ai l'impression qu'en lui, le mal est déjà fait. Car voyez-vous, IL REVE. Et dans son cas, à sa place, qui ne rêverait pas ? Savez-vous de quoi il rêve ? Je vais vous le dire : d'une grande maison toute blanche au soleil de la Côte d'Azur POUR SA MAMAN.
A quoi pouvait-il rêver d'autre, le poulbot qui n'a connu d'autres horizons que les ciels gris des murs lépreux et comme océans, que les rigoles boueuses des caniveaux ?
Seulement, si un jour, il n'arrive pas à lui offrir, cette maison merveilleuse, à sa maman, cette maison dont on l'a déjà persuadé qu'elle était à portée de sa main, qui fera les frais de ses rêves brisés , Qui va payer la casse ? Qui va se soucier de lui ? Qui comprendra ou voudra comprendre ses révoltes ?
Car, de toute façon, à ma connaissance, la Maison de Retraite de Ris-Orangis a été prévue pour les vieux du spectacle... Et ce sont des monstres, ceux qui envisagent froidement de fabriquer des vieillards de vingt ans.
Puissent-ils être de moins en moins nombreux, ces légers "Moustiques"' qui risquent chaque jour de se brûler les ailes aux feux abusifs des publicités trompeuses.
Et puissiez-vous vraiment, vous les jeunes qui le méritez, faire la part du feu et ne plus vous laisser conter par tous ces faux prophètes...

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